L’histoire d’une grand-mère comme point de repère

Quelle est la femme qui inspire vos ambitions ? Puisque j’ai lancé le sujet, je commencerai par décrire le parcours de ma grand-mère, Djamila, la belle, communément appelée Mina, qui au temps de l’Algérie postcoloniale était la première femme couturière et entrepreneure à avoir créé une manufacture de couture dans la ville côtière d’Oran.

Née en 1929 à Tlemcen, ville aussi surnommée « capitale de l’art andalou » ou « Perle du Maghreb », Mina a grandi dans un milieu protégé, entourée de ses quatre frères et sœurs, d’un père écrivain public aimant et d’une mère au foyer, passionnée de couture. Peu intéressée par les cours dispensés à l’école primaire, elle voue, tout comme sa mère, une passion pour la couture. Son talent, révélé également lors des cours de couture de l’école, ne laisse pas son institutrice indifférente, ni ma grand-mère qui se souvient encore du nom de cette enseignante « Melle Foiselle ». Très vite, Mina est encouragée à faire le tour des classes pour montrer ses œuvres à ses camarades. Persuadée que l’école ne lui apporterait pas la satisfaction que lui procure la couture, Mina décide de s’arrêter à la fin de l’école primaire au grand regret de ses parents qui l’encourageaient à poursuivre ses études, tout comme ses cousines évoluant plus tard dans le corps médical ou professoral. Elle passe alors ses journées à coudre des modèles et perfectionner ses talents de couturière.

Mariée à 19 ans à mon grand-père, elle donne naissance à six enfants tout en commençant à développer une activité de couture à son compte pour les particuliers de son entourage, voisins, amis et famille. Elle s’adonne notamment à la couture des habits traditionnels constituant le trousseau des femmes algériennes (karakos, caftans marocains et tlemceniens, robes de soirée, etc.).
La famille s’installant à Oran en 1964, et les six enfants devenant plus autonomes, Mina, une femme coquette, active et soucieuse de son indépendance, décide à la fin des années 1960 et encouragée par son époux, de créer sa propre manufacture de couture. Elle aménage alors une partie de sa résidence en atelier de couture qu’elle équipe de machines industrielles, puis elle recrute plusieurs couturiers qu’elle forme et supervise pour répondre au mieux aux commandes de ses clients.

Elle gère sa clientèle « B2C » auprès du voisinage et de son cercle familial et amical, tout en développant une nouvelle activité de « B2B » auprès des commerçants, majoritairement masculins, du quartier de la ville nouvelle. Elle gagne progressivement la confiance et le respect de ses clients, dans une ville où elle ne connaissait personne à son arrivée. Plusieurs qualités lui permettent d’obtenir cette reconnaissance : son bon relationnel, allié à ses qualités de négociation, mais aussi son ingéniosité et sa créativité. Autodidacte, Mina fait confiance à son intuition : elle dessine elle-même les modèles de robes issus de son imagination et met au point un procédé de couture innovant pour confectionner les cols de robes de soirée oranaises, jusqu’alors uniquement réalisé à la main par les couturiers de la ville. Elle est aussi une femme obstinée qui ne se contente pas de peu. Son entourage lui attribue affectueusement le sobriquet de « tête de turc », se référant à la fois à ses origines ottomanes et à sa « tête de mule ». Quant à son « style de management », il était à la fois pédagogue, ferme et responsabilisant : « elle faisait confiance à ses salariés ».

L’exemple de Mina est un modèle pour moi et pour de nombreuses femmes qui veulent lancer des projets qui leur tiennent à cœur. Je tire plusieurs « leçons » de son expérience :
– Telle l’institutrice qui a fait la promotion de son talent, entourez-vous des personnes qui voient en vous et promeuvent vos forces sans retenue, cela éveille la confiance et la foi que vous avez dans vos talents !
– Choisissez un compagnon qui soutient vos projets et vous aident dans leur réalisation, comme l’a fait mon grand-père à une époque où les femmes mariées venaient d’obtenir le droit d’exercer une profession sans l’autorisation de leur mari en France (1965) et où l’Office national de la main d’œuvre algérienne recensait seulement 6% de demandes provenant de femmes en 1964.
– Ayez confiance en votre intuition, vos talents commerciaux, entrepreneuriaux ou managériaux et la capacité de vos équipes à atteindre les objectifs que vous fixez. Votre personnalité, c’est votre style, soyez authentique et assumez-le ! Mina n’a pas étudié le « management » mais elle a éduqué six enfants et cela vaut bien une bonne partie des théories de management !

Alors quelles leçons souhaitez-vous tirer des femmes de votre entourage ?


Auteur
Sarah Ouadah